Comme le Thib' nous en a parlé hier, petit déterrage d'une entrevue menée en 2012 (ah oui...déjà...) avec Mr prog et Laurent.
A l'occasion de la sortie de Roll Over The Eger Trail, qui permet à Alain Markusfeld de déterrer certaines bandes de son riche patrimoine, l'occasion nous a été offerte de nous entretenir avec lui. Pour à la fois revenir sur son passé, souvent meprisé des grands médias de l'époque (comme tant d'autres) mais également sur son avenir proche. Cette musique qu'il continue à rendre chatoyante, bien loin des normes consuméristes. Cette entrevue, je la dois en grande partie à Joan Pau Verdier, qui avait eu ses mots d'une extrême tendresse envers Alain : " Hélas, je n'ai plus de nouvelles d'Alain Markusfeld depuis longtemps et je le regrette. Si d'aventure il lisait cette interview, je serais ravi qu'on se recontacte. Grand guitariste, Alain, avec une façon de jouer très personnelle, une touche qui n'appartient qu'à lui"... Fuzzine : Comment êtes-vous venus à la musique? Vos influences? Pouvez-vous nous parlez de vos premiers émois musicaux? Et de vos premiers groupes?Alain Markusfeld : Je ne veux pas gâcher l'ambiance, mais mes premiers émois c'était plutôt avec les filles. J'ai fait deux ans de piano classique vers l’âge de six ans. Le piano est mon premier instrument. A cause d'une idiote de répétitrice qui me tapait sur les doigts, j'ai arrêté pendant des années, c'est un des grands regrets de ma vie. Tout môme j'adorais tout ce qui était rythme. Les premiers disques de Ray Charles que j'avais vu au Palais des sports avec les Raelettes, mais aussi Erroll Gardner, Grant Green avec déjà Herbie Hancock au piano, Dave Brubeck, Jacques Loussier qui avait adapté Jean Sébastien Bach en jazz. J'aimais bien aussi Dominik Frontier (auteur de la musique du feuilleton Les Envahisseurs) et bien sûr Lalo Shiffrin, dont on retrouve des influences dans Le Fleuve 8. Sans oublier tous les groupes. A commencer par les Beatles, les Stones, Led Zeppelin, Spencer Davis, je ne peux pas tous les citer.
Je me suis acheté une guitare acoustique vers 14 ans, et ma mère m'a offert ma première électrique, une Elite, je devais avoir 15/16 ans. Au lycée, on a commencé avec mon copain Bernard Besecque (à la batterie) à jouer dans des booms sans être payés, on nous offrait une consommation. Les trucs habituels d'ados. On a même gagné un concours d'orchestres à la Mairie de Levallois. On s'appelait les Don Dièse et on jouait ce qu'on pouvait.
F : Expliquez-nous un peu cette passion de l'œuvre de Hendrix?A.M : Au début j'avais le 45 tours Hey Joe, j'étais un peu heurté par sa musique. Puis d'un seul coup je me suis mis à adorer sa façon de jouer, et de chanter. Le dialogue entre sa voix et sa guitare était particulièrement hors norme.
F : En 68, vous avez 18 ans. Que faisait Alain pendant cette révolution culturelle? Racontez-nous un peu cette rencontre avec Coluche.A.M : Je m'en souviens bien: les managers, de Patrick Loubie (qui devait passer une audition dans un cabaret, La Méthode Ancienne, à Paris) m'ont proposé de venir aussi. C'était un après midi, il n'y avait qu'une personne qui était en quelque sorte le directeur artistique, et qui faisait les auditions : Coluche, il faut dire qu'à l'époque il était totalement inconnu. Je vous laisse imaginer ce qu'a pu être une audition dans une salle vide, avec comme unique juré Coluche qui avait déjà une sacré personnalité. J'ai chanté une première chanson, il m'en a demandé 2/3 autres, (car à l'époque je me composais des chansons) et il m'a proposé de commencer le soir même. J'y suis resté deux mois. En tous cas, je peux dire qu’il a toujours été gentil avec moi.
En 68 je ne voulais faire que de la musique, et pendant que je jouais à La Méthode Ancienne, ça chauffait dans les rues autour. C'était plein d'espoirs et de promesses. J'ai le souvenir également de la petite troupe de ce cabaret, en particulier Henri Guybet, qui était très sympa et qui a fait une belle carrière. Et un autre comédien que je trouvais formidable, qui malheureusement n'a pas eu la reconnaissance qu'il aurait dû avoir, et qui est décédé depuis, c'était Jean Pierre Sentier.
F : En 70, vous sortez votre premier disque solo. Comment le projet a t'il vu le jour?A.M : J'ai rencontré un copain musicien au Golf Drouot, bassiste d'un groupe qui s'appelait les Hot Beats, je crois. Et qui accompagnait Herbert Léonard. Il m'a proposé de passer aux Editions Tutti, rencontrer Suzy Halliday afin de placer des chansons à Herbert. Quand j'y suis allé, Suzy a aimé mes chansons, m'a proposé d'enregistrer une première maquette et peu de temps après m'a fait signer un contrat. J'ai fait un 45 tours, qui n'est jamais sorti, et dont personne n'a voulu. Et finalement Gérard Cote chez Barclay m'a signé pour un album,Le Monde en Etages. Il est sorti le jour de mes 20 ans.
F : Le disque s'est vendu très confidentiellement. Etiez-vous soutenu à l'époque par la presse? Qu'en était-il des relations avec le label ?A.M : Je n'ai jamais été très soutenu, et dès le début (rires).Il faut dire à leur décharge, que vendre ce genre d'album en France à l'époque n'était pas évident. On n'a jamais très bien su dans quelle catégorie me ranger,et moi non plus d'ailleurs.
F : Le Monde En Etages est devenu un collector de nos jours. Ce disque est incroyablement riche, et on ne peut éviter l'ombre de Jimi Hendrix à l'écoute. Avez-vous tourné un peu à la sortie du LP ?A.M : Non, il n'y a eu que très peu de promo. Je n'ai commencé à tourner qu'après Le Son Tombé du Ciel. Le Monde en étage, c'était mes débuts en tant que « guitariste », mais il y en avait deux formidables sur cet album, Denis Lable et Jean Pierre Azoulay (Rolling).
F : J'ai lu ici et là que vous auriez participé à l'album de Trust, avec Jacky Chalard et Jean Schulteis. Pour autant, vous n'en parlez pas dans votre biographie en ligne . Pourquoi?A.M : Pour une raison bien simple, je n'ai jamais fait partie du groupe Trust. Par contre j'ai trouvé le titre d'une des chansons « Le Mutant » et j'avais du écrire un ou deux couplets. Et en ce qui concerne Jean Schulteis, il a joué de la batterie dans Le Monde en Etages, excepté le morceau joué par Tommy Brown, on le retrouve aux percussions de Platock 2 (réédité dans le CD qui vient de sortir).
Et nous avions joué ensemble en trio, moi à la guitare, Jean Schulteis à la batterie et Jean Claude Michaud à la basse à la Fete de l'Huma 72, la même année que les Who. Nous avons aussi joué au Golf, et au Gibus. Jean m'a fait découvrir la Musique Bulgare et Keith Jarret, entre autres. Il avait plus d'expérience que moi et avec le recul c'était plutôt gentil de consacrer du temps à un jeune. Petite précision : je ne suis pas non plus, comme j'ai pu le lire ici ou là, le neveu de Guy Béart, avec lequel je n'ai absolument aucun lien de parenté.
F : On est donc aux débuts des 70's, le monde a quelque peu changé, et la pop française voit enfin la lumière. Avec quels artistes étiez-vous le plus proche ?A.M : Personne. J’ai toujours été un franc-tireur, un indépendant. A partir de ce moment-là je me suis plutôt intéressé au jazz rock. J' étais plus proche de musique comme celles d' Herbie Hancock, et Chick Corea, j'écoutais beaucoup Weather Report. J'adorais l'évolution choisie par Miles Davis.Je peux dire aussi que Ravi Shankar et son sitar ont fortement influencé ma façon de jouer de la guitare. J'aimais beaucoup le sarangui ainsi que la musique du Japon Impérial du 17eme siècle. Sans oublier bien sur la musique traditionnelle du Burundi (dans Platock 3, mon jeu de guitare peut faire penser sur un passage à de l'Inanga).
F : Vous enregistrez au chateau d'Herouville votre second opus en 71, avec des musicos dans la spère Zao / Magma. Quels souvenirs en gardez-vous ? Et n'avez-vous jamais été approché par C.Vander?A.M : Le Son Tombé Du Ciel a en effet été enregistré au château d'Hérouville ou j'avais fait la connaissance de D.Blanc Francard, talentueux ingénieur du son, déjà. Sur le morceau Iguane, de l'album «Puissance 13+2», Dominique avait mis un micro dans les caves du château pour récupérer le son d'une fuite d'eau !Pour revenir au Son Tombé Du Ciel, je le considère comme mon plus mauvais album, parce que le moins abouti, le moins structuré et le moins bien composé de ma part. Ici, j'ai une pensée amicale pour le propriétaire des lieux, le compositeur Michel Magne (c'est entre autres le compositeur de la musique des Tontons Flingueurs).
Je n'ai jamais été approché par C.Vander. Je pense que c'est dans les années 75 ,où je jouais tous les soirs au Bilboquet à St Germain des Prés, des morceaux comme Bulgarofeld, le Désert Noir, qu'un soir le bassiste de Magma m'a proposé de venir faire un bœuf avec eux, et le moins qu'on puisse dire c'est que ça n'a pas du tout accroché entre nous.
F : Entre 73 et 76, on perd un peu votre trace. Que s'est-il passé?A.M : Moi aussi je perds ma trace (rires). J'ai fait quelques télés, quelques salles...
F : 1977, c'est le retour de votre œuvre sur disque. En pleine période punk, vous publiez 3 LP d'une richesse symphonique génialissime. Dans le même temps, vous jouez avec Joan Pau Verdier pour la tournée Tabou Le Chat. Comment expliquez-vous ce regain musical? Quels souvenirs gardez-vous de cette tournée avec Joan Pau?A.M : J''ai rencontré mon vieux copain Jean Fernandez chez Barclay, je lui ai fait écouter amicalement, Le Désert Noir et à ma grande surprise on m'a proposé un nouveau contrat, voilà. Joan Pau cherchait un nouveau guitariste. JF Leroi nous a présenté, et on a commencé à tourner, il y avait un projet d'album de la part de sa maison de disques. J'ai composé la musique de Tabou le Chat (Identité, le final, Easy Cat Rock). Avec le recul, on sent comme une vraie complicité entre sa voix et ma guitare, les concerts que l'on donnait étaient plein d'énergie. Jouer devant 120.000 personne à la Fête de l'Huma ça crée des liens. On a participé à la première édition du Printemps de Bourges. Et Au Théâtre de la Ville on nous demandait de jouer moins fort tous les soirs.
Ca été un vrai plaisir de revoir Joan Pau récemment, grâce à vous, il nous reste beaucoup d'affinités.
F : Parlez-nous un peu de vos techniques de guitare. Comment se passe la composition et quelles relations entretenez vous avec l'instrument ?A.M : Pour la technique sans rentrer dans les détails, une chose est sure je ne joue plus accordé normalement avec une guitare depuis les années 70. Je n'ai jamais hésité à désaccorder certaines cordes, tout en retombant sur une note bien précise, en jouant et en mesure s'il vous plait (rires), on peut l'entendre sur le CD dans le Désert Noir. J'étais assez kamikaze pour le faire sur la scène de l'Olympia à l'époque, comme dans tous mes concerts. Je n'ai jamais cessé de composer, j'ai ce besoin vital depuis toujours, comme de respirer. Comme je le racontais à Joan Pau récemment, quand j'ai pensé au thème de Tabou le Chat, je n'avais aucun instrument. J'entendais ce thème joué par un quatuor ou par un orchestre symphonique, on était plus proche de Vivaldi, et évidemment ça a dégénéré par la suite.
F : Vous avez également joué avec Michel Ripoche (Zoo). Existe-t-il des enregistrements?A.M : Non. Avec Ripoche, on a fait le Printemps de Bourges en duo et quelques concerts, mais à ma connaissance il n'y a pas eu d'enregistrements.
F : Un petit mot sur le live de 81. On y sent l'influence de la musique contemporaine, de Terry Riley à Pandit. Quel rapport feriez-vous entre l'œuvre de Jimi Hendrix et de Riley par exemple?A.M : Dans le live on sent surtout l'influence du Koln Concert de Keith Jarret. Album fait dans des conditions difficiles, il a été enregistré en un seul soir, et en un seul concert dans son intégralité,toujours les problèmes de budget.
Je me souviens de trois bigoudennes agées, venues avec leur coiffe traditionnelle lors d'un concert en Bretagne, Elles étaient au premier rang et je les entendais parler breton entre elles entre chaque morceau. Elles avaient apprécié le concert et c'est un souvenir très touchant.
F : Tous ceux qui ont eu le plaisir d'entendre vos disques s'accordent sur un point : Vous êtes l'un des guitaristes les plus inventifs de votre génération, et pour autant très peu connus des milieux hip. Un regret?A.M : Que voulez-vous que je vous dise ? (long silence)
F : Vous venez de sortir Roll Over The Eiger Trail, compilation de titres anciens et récents. Comment avez-vous procédé pour faire la sélection, et comment s'est passé la rencontre avec le label Aloha?A.M : J'ai choisi de manière arbitraire ce qui me paraissait avoir traversé relativement bien le temps. Il y a 3 ans j'ai été contacté par une maison de disques américaine qui se proposait de ressortir mes albums là-bas à commencer par le Désert Noir. Les ayants droit étant une grosse maison d'édition italienne.Après des mois d'attente j'apprends que les italiens ont perdus les masters. Vous imaginez ? Finalement, au terme d'une très longue bataille juridique, j'ai récupéré la totalité des droits des albums en question. Et j'ai décidé de créer mon propre label Aloha Music. Nous avons eu la chance de pouvoir repartir de vinyles neufs, et Olivier Legoupil du Studio Pickup a fait un très bon travail de mastering.En ce qui me concerne je suis satisfait du résultat. Nous avons raccourci les versions de Bulgarofeld, Platock 2 et Atlantis rock, il y a un équilibre entre les nouveaux titres et les anciens, techniquement ils se marient bien.
F : Roll Over The Eiger Trail démontre à quel point on peut encore être inventif dans la musique contemporaine. On y dénote des influences aussi diverses que le jazz, la zheul music (en référence à Magma) mais aussi classiques et contemporaines. Comment définiriez votre musique?A.M : Roll Over The Eiger Trail serait un peu dans la lignée de ce que faisait Joe Zawinul, (probablement l'un des musiciens dont je me sens le plus proche avec Wayne Shorter) Paco Sery à la batterie qui est un des meilleurs batteurs que j'ai jamais vu jouer, Manolo Badrena aux percussions et Richard Bona. De Retour Au Guerzido sonne vraiment comme un groupe de jazz, alors que je joue toutes les parties au clavier. D 'une certaine façon lorsque je joue vraiment des phrases de sax, je ne sais plus sur quel instrument. Le Guerzido c'est la grande plage de l'ile de Brehat, clin d'œil à la Croix de Modet enregistré quelques années plus tôt. Automne à Bachalpsee est joué dans les conditions du live, il n'y a aucun rerecording. J'ai évolué techniquement depuis, mais il est presque classique, j'y ai mis toute mon émotion. J'aime beaucoup, et ce morceau, et le lac de montagne qui porte ce nom.
Dans Roll Over The Eiger Trail, on peut également entendre quelques notes d'accordéon, et sur le passage sans batterie comme le sifflement d'une marmotte. Je voulais par quelques petites touches sonores recréer une ambiance de fête montagnarde Suise. Je le dis pour ceux qui ne le sauraient pas, l’Eiger Trail est le chemin de randonnée sous la face Nord de l'Eiger, cette fameuse montagne mythique dans les Alpes Bernoises.
F : Trois morceaux sont issus de votre projet "Fleuve", composé en 1989. Trois compositions d'une incroyable richesse mélodique et d'ingéniosité dans la construction. Pouvez-vous nous parler de ce projet, et y aurait il une chance de le sortir un jour en disque ?A.M : J'ai travaillé un an sur Le Fleuve, personne n'en a voulu. Il y a à l'origine 10 mouvements, plus d'une heure de musique. Je suis heureux que Le Fleuve vous plaise. Je n'y joue pas une note de guitare, et pourtant c'est une des compositions les plus personnelles que j'ai faite. Avant de ressortir d'autres mouvements du Fleuve, j'ai tellement de titres inédits à enregistrer pour mon prochain CD.
F : Dernière question : ca été un vrai plaisir de pouvoir mener cette entrevue, de retracer votre carrière. Pour autant, votre œuvre est difficilement accesible pour les jeunes générations. Il y a un projet de rééditions pour vos albums antérieurs?A.M : En ce qui concerne Le Monde en Etages, Le Son Tombé du Ciel et les 45 tours de l'époque Barclay, cela dépend de Warner Music, et ce n'est pas ma préoccupation première. Je suis plus tourné vers l'avenir que vers le passé.Plus que la guitare et le piano, la composition pure me passionne et je sens que j'ai encore beaucoup à dire. C'était un plaisir pour moi aussi, mais vous savez il m'est difficile de parler du passé car si on veut faire des progrès en musique (comme dans tout), on doit évoluer dans la vie. Et à bientôt 63 ans, quand je revisite mon passé j'ai l'impression de parler de quelqu'un d'autre...