
Je retransmets ici le long processus pour la sortie en vinyl pour la première fois du groupe Psyché Prog Français Acanthus.
Un album enregistré en 1970.
D'Acanthus certains connaissent peut être la B.O. du film de Jean Rollin Le frisson du vampire.
Le texte ci dessous est de Alain BON du label Soleil Zeulh et à l'origine de ce projet
Je vous préviens , c'est assez long , mais l'histoire est belle
L’annonce que je fais ici va être longue car le cheminement ayant conduit à cette sortie a été très tortueux et surtout intimement lié à l’histoire de Soleil Zeuhl, même si la musique d’Acanthus n’a absolument rien de Zeuhl. Du fait de cette longueur, les infos essentielles sont au début pour les lecteurs pressés, vient ensuite le long déroulé pour les passionnés (et patients).
Un évènement notable cette semaine : la sortie de l’unique album d’ACANTHUS, groupe français, album enregistré en 1970 dans les studios Pathé à Paris et jamais publié jusqu’alors. Il s’agit d’une longue suite qui ne comporte qu’un seul morceau, seulement scindé en deux parties pour les besoins du format vinyl. C’est un des tous premiers concept-albums français à être enregistré - progressif peut-être, psychédélique de toute évidence.
55 ans plus tard, le label Monster Mélodies va sortir « Tryphasys » en vinyl (1.000 exemplaires en vinyl transparent, numérotés).
Qu’il ait été enregistré par et pour Pathé n’est guère surprenant car à cette époque cette grande maison de disques soutenait les projets ambitieux, fussent-ils novateurs et d’avant-garde :
Igor Wakhevitch ‘Logos’ – 1970
Guy Skornik ‘Pour Pauwels’ – 1971
Le premier disque éponyme de René Joly - 1970
Gérard Manset ‘La Mort d’Orion’ – 1970
CBS a aussi exploré cette zone underground avec :
Popera Cosmic ‘Les esclaves’ – 1969
William Sheller ‘Lux Aeterna’ – 1972
Si l’album d’Acanthus était sorti à l’époque, comme il aurait dû, il est probable que le succès populaire n’aurait pas été au rendez-vous, pas plus qu’il ne l’a été pour les albums ci-dessus, mais il bénéficierait aujourd’hui de la même et forte renommée auprès des amateurs de prog/psyché aventureux et original.
C’est le moment de réparer cette injustice historique puisque le disque (vinyl uniquement) sera, enfin, disponible très bientôt sur le site du label :
https://www.monstermelodies.com/onlineshopOu directement au magasin, 9 rue des Déchargeurs Paris 1er (Les Halles)
Ou sur Discogs :
https://www.discogs.com/.../34042270-Acanthus-TryphasysUn extrait est en ligne sur Youtube :
https://www.youtube.com/watch?v=8BZG74kP2P8Pour ceux qui achèteront le disque on peut leur suggérer, en passant, de s’intéresser, sur le même label, à l’album du ‘Grand Nébuleux et ses Laveurs de Consciences’. Une chronique de l’excellent Stéphane Fougère est consultable ici :
https://rythmes-croises.org/le-grand-ne ... et-ses.../Ou encore XALPH et quelques autres…
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Les infos essentielles étant posées, allons-y pour le long périple de ce disque resté totalement inédit jusqu’à aujourd’hui.
ACANTHUS, l’historique :
Tout a commencé en 1967 par un petit groupe de jeunes parisiens (17 ans en moyenne) qui jouent des reprises sous le nom de The Bayens (du nom de la rue Bayen du 17e). Collectif composé alors de de Daniel Buffet, Francis Bendichou, Guy Ouly et Jean Vazon. Parcours scénique habituel : Bus Palladium, Golf Drouot etc.
Courant 1969 Gérard Salette, guitariste et musicien déjà aguerri, intègre le groupe qui change alors de nom pour devenir Acanthus. Les reprises sont abandonnées au profit de compositions personnelles. Début 1970 la longue suite ’Tryphasys ‘ est composée, répétée et prête à être jouée sur scène.
Ils font la connaissance de Jean-Philippe Delamarre, un producteur de films underground, lequel les présente à Jean Rollin, cinéaste oeuvrant dans le fantastique. Il allait alors tourner ‘Le frisson des vampires’ et il leur demande d’en faire la musique. Elle sera insérée dans le film qui sortira en salles en 1970 et sera diffusé à la télévision en juillet…. 1998.
A la même époque ils enregistrent la musique d’un court métrage (‘Liberta’) pour le frère de Jean-Philippe Delamarre, Jean-Noël. La musique est totalement improvisée et enregistrée avec les moyens du bord dans la maison familiale du 15e, les musiciens jouant alors que le film est projeté sur le mur en face d’eux. Une seule prise. Le film connaîtra une brève exploitation en salle à la même époque.
Par hasard, le groupe assiste alors à un concert de Magma (qui à ce moment n’a pas encore sorti son 1er album) et c’est un choc. Encouragés par le fait que Magma ait, peu de temps après, réussi à signer sur une major (Philips) ; et malgré la conscience de ne pas être au même niveau musical, ils prennent des contacts ici et là et rencontrent le producteur de Komintern et de Red Noise (Ph. Constantin) lequel les présente à Etienne Roda Gil (producteur entre autres de Julien Clerc). Le groupe lui fournit une maquette de Tryphasys et E Roda Gil la fait écouter à Pathé Marconi.
Quasi immédiatement un contrat est signé et dès l’été 1970 ils se retrouvent dans les studios Pathé de Boulogne pour enregistrer l’album.
Les sessions terminées, Pathé fera presser quelques acetates pour les comités d’écoute et le staff.
Les semaines passent, le groupe veut jouer son opéra rock sur scène mais Pathé le leur interdit tant que l’album n’est pas sorti. Ils font néanmoins quelques dates mais sous leur ancien nom ‘The Bayens’ afin de ne pas aller à l’encontre des exigences de Pathé.
Un jour Etienne Roda Gil leur fait part du désir de Pathé de publier d’abord un 45 tours qui serait extrait de l’album déjà enregistré. Le groupe est scandalisé, estimant que c’est une offense à leur concept-album et refuse catégoriquement malgré l’insistance de E Roda Gil.
Pathé sera alors tout aussi inflexible et décidera de ne rien publier du tout. Le 6 novembre 1970 Pathé officialise la rupture du contrat et rend au groupe sa liberté - mais en conservant les bandes.
E Roda Gil continue à les soutenir quelque temps malgré tout, les faisant ainsi passer au Pop Club de José Artur sur France Inter.
Par la suite le groupe approchera d’autres maisons de disques mais aucune ne sera intéressée. E Roda Gil ne donnera plus de nouvelles par la suite et il cessera aussi sa collaboration avec Pathé, pour des raisons inconnues mais probablement sans rapport avec Acanthus.
1971 arrive, le groupe n’a plus de maison de disque et ne dispose pas des bandes de son album. Désillusionné le collectif se cherche une issue. Daniel Buffet (batteur) est alors embauché comme vendeur dans le magasin Lido Musique, disquaire sur les Champs-Elysées. Le patron de la boutique vient de lancer son propre label du même nom et, emballé par l’énorme succès commercial à cette époque du groupe Titanic, il demande au groupe d’enregistrer un 45 tours ‘rock’ dans l’espoir d’un hit et, en contrepartie, il promet de réinvestir une partie des bénéfices dans la publication de ‘Tryphasys’. Afin de ne pas brouiller leur image, le groupe accepte le deal mais sous un autre nom. Un premier 45 tours est ainsi publié sous le nom de UNITY mais il ne rencontre aucun succès malgré un passage à la télévision dans Midi-Première de…Danièle Gilbert, en septembre 71.
Toujours en attente d’une possible publication de ‘Tryphasys’, le groupe tourne dans des discothèques et des night-clubs sous le nom de Unity, avec un répertoire sans lien avec leurs aspirations musicales. Quand Lido Musique leur demande un second 45 tours mais sans évoquer ‘Tryphasys’, Daniel Buffet et Gérard Sallette refusent. Le second 45 tours existera pourtant (1972) mais il sera réalisé par les seuls Bendichou, Vazon et Ouly, Buffet et Salette étant certes présents aux sessions mais comme simples instrumentistes passifs ; ils quittent le groupe dans la foulée qui de facto cessera toute activité.
C’est la fin de l’histoire officielle du groupe, il n’y aura aucune reformation même partielle et personne ne publiera ‘Tryphasys’ qui sera oublié de tous, y compris des musiciens du groupe, dans les archives Pathé à Boulogne.
TRYPHASYS, l’histoire au long cours :
Vers 1992, je découvre l’existence assez intrigante des films de Jean Rollin, cinéaste que la critique hésite à positionner, entre expérimental et série Z. Le DVD n’existe pas encore, internet non plus et les cassettes VHS de longs métrages un peu pointus sont rares. Je finis par dénicher par hasard dans un vidéo-club du 9e, spécialisé dans le cinéma fantastique et SF, une copie du ‘Frisson des vampires’. Au-delà du film (étrange), mon attention est vite captée par les intermèdes musicaux très psychédéliques. Au sein du générique de fin, la musique est créditée sous le nom d’Acanthus – alors totalement inconnu de moi mais que je mémorise, à tout hasard.
Un an ou deux plus tard, en quête de vinyles, je me rends au magasin de l’Armée du Salut (un hangar précaire, comparable aux Emmaus) situé tout au bout de la rue du Chevaleret (Paris 13). J’y achète quelques albums d’intérêt mineur mais surtout une grosse pile des revues Pop Music et Superhebdo (qui d’ailleurs fusionneront pour devenir Superhebdo Pop Music). Revues difficiles à trouver car fragiles, publiées sur un papier journal fin et dans un format proche de celui du ‘Monde’.
A cette époque le label Soleil Zeuhl est en gestation et, dans l’optique de réunir des informations pour l’hypothétique future activité du label je parcours les revues en détail et relève que le groupe Acanthus y est mentionné à plusieurs reprises, la parution de ’Tryphasys’ étant même annoncée dans un des numéros, ainsi que leur passage au Pop Club de José Arthur.
Je note aussi qu’au sein du courrier des lecteurs un anonyme sous le pseudo de ‘Oncle Sam’ évoque régulièrement Acanthus (très frontalement dans le Superhebdo du 27 mai 1971, après le passage chez José Artur). Je découvrirai, dans un autre numéro, qu’il s’agissait de Daniel Buffet qui faisait ainsi une promo déguisée du groupe.
Je retourne alors au vidéo-club où j’avais emprunté la VHS, et où il y avait d’autres films disponibles de Jean Rollin, et je demande au propriétaire s’il saurait comment joindre le cinéaste. Je lui expose brièvement mon projet de label. Il se trouve que c’est un ami à lui et il me communique son téléphone sans difficulté. Le soir même je m’entretiens avec J Rollin (qui, coïncidence, habitait Avenue Ledru …. Rollin). Il en ressort qu’il ne détient aucun fichier son du ‘Frisson..’ seulement le film monté avec la musique intégrée. Il n’a plus eu aucun lien avec Acanthus postérieurement à la sortie du film. Mais il me donne le téléphone de Jean-Noël Delamarre, pour qui Acanthus avait enregistré ‘Liberta’.
Je rends visite à JN Delamarre dans le 15e, lequel ne détient rien non plus concernant Acanthus en dehors de ‘Liberta’, mais il m’explique que sa maison du 15e a souvent servi de local de répétition pour Christian Vander lors des débuts de Magma, avant le premier album. Mais il ne détient ni film ni son ; parfois on regrette que les murs ne parlent pas…
En 1997 Soleil Zeuhl commence à prendre forme, les musiciens et les bandes d’Archaïa sont retrouvées, mais l’énigme que représente Acanthus reste présente - la possibilité d’un label double, Zeuhl et Psychédélique, émerge.
Dans cette optique éventuelle je cherche à retrouver les musiciens d’Acanthus et après moultes recherches (bottin, Sacem..) et nombreux appels téléphoniques vains, c’est chose faite à l’exception de Gérard Sallette qui demeure introuvable et dont les autres ont perdu toute trace depuis la séparation de 1972. Personne ne sait s’il est parent avec l’actrice Céline Sallette, née en 1980.
La question des bandes est évidemment abordée prioritairement avec chacun, mais sans succès car ils ont quitté Pathé sans autre copie qu’une simple (et unique) cassette qui a été volée avec l’autoradio dans lequel elle était insérée, ceci durant les années 70 dans le véhicule de l’un d’eux. Impasse donc, eux- même étant dans l’impossibilité d’écouter leur album.
Je contacte évidemment Etienne Roda Gil mais il ne donnera jamais suite à mes demandes. Il décèdera en 2004.
Sur les quatre musiciens, trois sont en région parisienne et nous convenons d’un rendez-vous chez moi, probablement fin 1997. Daniel Buffet réside dans la région de Bordeaux et n’a pas pu venir. Je découvre l’historique hors norme de ‘Tryphasys’ et il est décidé que je contacterai Pathé (devenu EMI) avec une procuration en bonne et due forme de leur part à tous afin d’obtenir restitution des bandes.
Quelques mois plus tard, et après plusieurs relances, j’obtiens une réponse écrite qui dit que les bandes ont été détruites par un incendie survenu dans les archives. Pathé me communique toutefois copie du document officiel (depuis longtemps perdu par les membres du groupe) entérinant la fin du contrat, document signé le 6 novembre 1970.
Je suis quelque peu sceptique sur la réalité de l’incendie et de la perte des bandes, prétexte qui semble être une excuse facile et commune afin de ne pas perdre de temps à fouiller les probablement nombreux rayonnages des archives. Mais nous ne pouvons qu’en rester là.
Les années passent, Soleil Zeuhl devient une réalité avec une dizaine de productions sorties. Mais je n’oublie pour autant pas Acanthus et son album fantôme qui constituent une énigme irritante et persistante.
Lors d’une séance de mastering pour SZ, vers 2004, j’évoque le sujet avec l’ingé son qui travaille souvent pour EMI et je lui exprime mon doute quant à la véracité de la perte des bandes. Il me donne le nom d’une personne à contacter. Ladite personne coopèrera un peu mais finira par me dire que les bandes sont introuvables, toutefois sans mentionner un incendie. L’hypothèse de bandes toujours existantes quelque part sur un rayonnage reprend corps.
Cinq nouvelles années passent, nous sommes en 2009, Jean Rollin est contacté par le label anglais Finders Keepers en vue de la publication de la musique du ‘Frisson des vampires’. Il donne son accord et le disque, réalisé à partir de la bande vidéo du film, sort en 2010 - l’année du décès de Jean Rollin.
Quand j’apprends l’existence de cette publication j’achète évidemment le disque. Il est doté d’un livret conséquent mais qui comporte de très nombreuses erreurs et omissions concernant Acanthus car il n’y a eu aucun contact avec les membres du groupe, sorti sous licence Jean Rollin.
Je contacte donc le label Finders K. et il s’ensuit divers échanges qui aboutissent en 2011 à une longue interview de Daniel Buffet, réalisée par mes soins à partir de questions du label anglais.
Cette interview sera reproduite in-extenso, à titre de rectification, sur l’insert d’une compilation vinyl (pas de CD) sortie par Finders Keepers en 2017 ‘The B-Music Of Jean Rollin Volume One: 1968-1973’ ; compilation qui comporte plusieurs morceaux d’Acanthus, tous déjà publiés sur ‘Le frisson..’.
Parmi les autres morceaux, également issus de films de Jean Rollin, on notera notamment la présence de François Tusques, pianiste jazz bien connu.
Vers 2014 Finders Keepers travaille sur un projet sans aucun rapport : la publication de morceaux de Jean-Claude Vannier, l’arrangeur de Serge Gainsbourg - notamment pour ‘L’histoire de Melody Nelson’ (1971). Ils ont alors l’idée de demander à JC Vannier, qui a des liens avec EMI et qui bénéficie d’une forte notoriété susceptible d’influer, de s’occuper de faire sortir les bandes d’Acanthus… si elles existent encore.
Sur la base de l’accord du 6 novembre 1970, de la procuration de 1997 et d’un courrier actualisé de Daniel Buffet, le processus est engagé et les bandes sont enfin localisées !
Elles sont ramenées par JC Vannier chez lui avant d’être envoyées en Angleterre. Elles seront transférées et Finders Keepers fera part de son enthousiasme dans la foulée. Mais curieusement le disque ne sortira jamais et il n’y aura plus aucun contact ultérieur avec moi et/ou le groupe.
En 2024, environ 10 ans après la découverte des bandes, au moment où ce disque semble maudit pour l’éternité, l’imprévu arrive avec la trouvaille à Strasbourg, en brocante, d’un des quelques acetates fabriqués par Pathé en 1970. L’inventeur de cette trouvaille miraculeuse « googlelise » le nom du groupe et le titre de l’album et tombe sur une publication dans laquelle j’évoque brièvement ma « croisade » débutée en 1992. Il me contacte via le label et, enfin, ‘Tryphasys’ sort de l’ombre où il semblait condamné à rester. De bonne qualité, l’acetate est professionnellement transférée, remise à niveau sonique pour une potentielle édition et restituée à son propriétaire.
La possibilité d’un label dual Zeuhl / Psychédélique n’étant plus du tout à l’ordre du jour, je confie le projet au label parisien ‘Monster Melodies’ qui obtient l’accord du groupe via Daniel Buffet et décide de publier l’album en vinyl – sortie cette semaine 55 ans après son enregistrement. L’aboutissement d’une longue quête qui aura duré 32 ans (1992 – 2024).
Merci aux différents acteurs de cette saga qui ont tous joué un rôle à un moment donné, au sein de la longue chaîne qui a conduit à cette réalisation. Par ordre chronologique de contact :
Norbert Moutier, du vidéo-club du 9e (lui-même cinéaste et plus - cf. Wikipedia)
L’Armée du Salut
Les magazines Superhebdo et Pop music
Jean Rollin et son ‘Frisson des Vampires’
Jean-Noël et Jean-Philippe Delamarre
Les 4 membres d’Acanthus que j’ai connus (F Bendichou, D Buffet, J Vazon & G Ouly)
Pathé-Marconi / EMI (même si…)
François Terrazzoni (Parélies, ingé son)
Finders Keepers (même si…)
Jean-Claude Vannier
Jérôme, l’heureux crate digger de passage dans le grand Est qui a trouvé l’acetate
Serge de Monster Mélodies (belle réalisation, bravo !)
En espérant, suite à cette sortie avoir des nouvelles de Gérard Sallette, le seul Acanthus à avoir prolongé l’aventure musicale, au moins jusqu’en 1976 avec son album solo à tout le moins ésotérique ‘Plus loin’.